Reconfigurer l’usage de l’immobilier commercial au travers de la plateformisation web

par Nicolas Sacchetti

« La révolution numérique bouleverse les modèles d’affaires traditionnels et l’ensemble des organisations. Elle a donné naissance à la plateformisation de l’économie avec comme pionnier des acteurs tels que Amazon, Alibaba, et autres. Les PME ne sont pas encore prêtes à reconnaître ce mouvement tectonique ni à repenser leur modèle pour accepter l’avènement de la plateformisation de l’économie. Pourtant, les Market Places — plateformes web conçues pour mettre en relation des vendeurs et des acheteurs — donnent aux entreprises la flexibilité numérique nécessaire pour s’assurer d’une survie à long terme. »

— Saadia Lakehal, PDG fondatrice Emperia Industries Connect Inc., et animatrice du Webinaire sur la gouvernance et le leadership au féminin.

Les besoins pour les espaces de bureau locatifs ont évolué. À l’ère du télétravail, les professionnels·les sont mobiles et leurs plages horaires, changeantes. Dans cet ordre d’idée, la proposition de Louise Guay, DG et créatrice du *Living Lab de Montréal*, est de monter à la façon Airbnb l’immobilier commercial pour reconfigurer l’usage des espaces. Une nouvelle manière de distribuer et partager des inventaires à l’aide de plateformes web de location de bureau. 

« Un Living Lab est une méthode de recherche en innovation ouverte — [innovation fondée sur le partage et la collaboration] — qui vise le développement de nouveaux produits et services. L’approche promeut un processus de cocréation avec les usagers finaux dans des conditions réelles et s’appuie sur un écosystème de partenariats public-privé-citoyen. » 

— Livre blanc des Living Labs

Pendant plusieurs années, le *Living Lab de Montréal (LLM) a voulu aider la Ville à développer une mobilité durable où l’usager·ère serait au centre des préoccupations. Au LLM on comprenait que pour y arriver, il fallait s’occuper du futur du travail : rapprocher le travail du milieu de vie des gens. « Il a fallu la pandémie de COVID-19 pour comprendre que le télétravail est tout à fait faisable », constate Louise Guay.

Dans cet ordre d’idée, le LLM avait développé un partenariat avec l’entreprise finlandaise Spacent. Le but était d’« offrir une plateforme aux propriétaires immobiliers et une application aux utilisateurs·rices permettant de mettre en pratique de nouveaux usages des locaux, diversifier l’accès aux espaces de travail et mettre en commun les ressources disponibles. » Ainsi, les employeurs peuvent donner le choix au personnel, soit travailler de la maison ou dans de tiers lieux, tout en ayant accès à leur espace numérique de travail (hot desk).

Plateforme collaborative et plateforme coopérative

Pour Louise Guay, le Québec doit trouver sa place dans le domaine des technologies de l’information et concurrencer les GAFAM : « il n’y a pas de raison pour qu’on ne soit pas présent ». Pour y arriver, elle propose la plateforme collaborative, voire coopérative.

Louise Guay rappelle que le Québec a développé une des plus grandes plateformes coopératives au monde et qui est aussi une banque, soit Desjardins. « Pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas la partager ? » L’idée est de créer de la valeur et de la partager. « Non pas comme les Big Tech  avec qui on partage nos ressources, et qui ne partagent pas leurs revenus », s’indigne Guay. L’inégalité est sans équivoque.

La DG du *Living Lab de Montréal croit qu’il faut repenser des formes d’économie plus sociale. Elle cite en exemple le professeur et économiste français Thomas Piketty, reconnu pour sa lutte contre les inégalités socioéconomiques du capitalisme. Son livre Le capital au XXIe siècle, paru en 2013 aux éditions du Seuil, porte sur la répartition des richesses. Dans cette étude, « fruit de 15 ans de recherche », Thomas Piketty tente de répondre à ces questions :

« Que sait-on vraiment sur l’évolution de la répartition des richesses sur le long terme ? La dynamique de l’accumulation du capital privé conduit-elle inévitablement à une concentration toujours plus forte de la richesse et du pouvoir entre quelques mains, comme l’a cru Marx au XIXe siècle ? Ou bien les forces équilibrantes de la croissance, de la concurrence et du progrès technique conduisent-elles spontanément à une réduction des inégalités et à une harmonieuse stabilisation dans les phases avancées du développement, comme l’a pensé Kuznets au XXe siècle ? Que sait-on réellement de la répartition des revenus et des patrimoines depuis le XVIIIe siècle, et quelles leçons peut-on en tirer pour le XXIe siècle ? »

— Le capital au XXIe siècle, Thomas Piketty

Les idées de Piketty se sont même invitées aux débats politiques américains du camp démocrate lors des élections de 2020. Il faut dire que dans l’année 2014, la version anglaise Capital in the Twenty-First Century est classée 35e sur 100 des meilleurs vendeurs des livres d’Amazon. Les propos de l’économiste ont fait leur bout de chemin dans cette société dont les inégalités ne cessent de progresser.

Alors que la sénatrice du Massachusetts, Elizabeth Warren, proposait, selon le journal français La croix du 11 septembre 2019, « de prélever un impôt annuel de 2% sur les ménages ayant un patrimoine net compris entre 50 millions et 1 milliard de dollars », Piketty avait commenté qu’aucun candidat·e démocrate n’allait assez loin : « Compte tenu du rythme de croissance du nombre de milliardaires, cela ne va pas être suffisant pour freiner la concentration de la richesse. »

Selon Mme Guay, les pays scandinaves sont aussi un exemple de modèle socioéconomique à prendre en considération. Le Living Lab de Montréal travaillait justement avec la Finlande et la Suède sur des projets de plateformisation de l’immobilier commercial. Elle rappelle que le modèle social-démocrate suédois est l’un des meilleurs au monde : « Le socialisme, c’est la capacité de pouvoir partager ensemble pour des sociétés plus égalitaires tout en étant souple », définit-elle.

Licornes

Louise Guay qui a une grande expérience avec les startups, commente :

« Les startups sont un monde créé par des hommes blancs de la Côte ouest-américaine alors qu’ils ne prenaient aucune responsabilité quant aux effets de ce qu’ils créaient. Il y a eu des impacts incroyables, tels que les plateformes de visioconférences, mais il y a des aspects difficiles au niveau de l’inégalité : un tout petit nombre de personnes gèrent des fortunes colossales avec des évaluations boursières incroyables. »

Tiers lieux

Les tiers lieux sont les endroits entre la maison et le bureau, où les gens vont travailler. Ils offrent des endroits avec des espaces de travail privés et verrouillables, des postes de travail dans un espace partagé, ou des postes avec accès à l’environnement numérique de la compagnie (hot desk).

Pour les entrepreneurs, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain a publié sur son site un répertoire des espaces de travail collaboratif (coworking). Pour y accéder, vous devez passer par le navigateur Google Chrome. On y trouve des perles, selon la région où vous demeurez. Comme le projet îlots d’été d’aire commune (Mtl) et de Continuums (Longueuil).

Il est aussi à noter que le parti politique au pouvoir Coalition Longueuil s’est engagé auprès de ses électeurs·rices aux dernières élections municipales d’ « effectuer une actualisation des règlements de l’urbanisme en lien avec les bureaux à la maison, notamment la question du certificat d’autorisation de la place d’affaires requis pour les télétravailleurs. » 

Intelligence collective

Louise Guay voit dans l’intelligence collective le futur de la gouvernance. L’évolution du Chief Executive Officer (Président·e directeur·rice général·e) – très compétitif, hiérarchique, et élitiste, au Collective Intelligence Officer (Président·e de l’intelligence collective) – qui est plus dans l’orchestration. 

En ce qui concerne la gouvernance au féminin, elle commente : « les femmes ont cette capacité de gérer la complexité avec créativité. Les femmes ont tendance à mettre les autres devants, car on croit à l’intelligence collective. »

Comme le partage Dr Alexander Frech, PDG du Groupe Amiblu — dans son article Collective Intelligence And New Ways Of Work (Intelligence collective et nouvelles méthodes de travail), Média Forbes du 13 juillet 2021 : « Dans notre époque complexe, il est devenu évident pour moi que les capacités d’une intelligence partagée ou de groupe dépassent celles de ses membres individuels. »

Louise Guay termine son exposé sur ces mots :

« Le vrai indicateur de performance (KPI) serait de pouvoir exceller dans le contrôle des processus de mobilisation d’intelligence collective des parties prenantes de l’écosystème d’innovation dans l’organisation. »

Louise Guay nous a quittés le 5 septembre 2021, quatre mois plus tard de cette Conférence sur la gouvernance au féminin dans les écosystèmes d’innovation. Après avoir entendu que de bons mots à son égard et avoir été témoin de la grande tristesse de mes collègues engendrée par son départ, j’ai pu au travers de cet article à mon tour avoir un aperçu de la grandeur du personnage, et me rendre compte de la perte que représente cette femme de tête et en avance sur son temps. Je me joins à l’équipe de 4POINT0 pour offrir mes condoléances à tous les gens qui ont eu le privilège de connaître cette femme d’exception. Merci Mme Guay pour vos enseignements à travers cette conférence, 

Nicolas Sacchetti

*À la suite du décès de Madame Guay, Claude Faribault, directeur par intérim du LLM, m’a informé que l’établissement a fermé ses portes.

Ce contenu a été mis à jour le 2022-10-21 à 1 h 05 min.